Deux articles parus dans le magazine suisse L'Hebdo
du 16 et du 23 février 2012
Principal hebdomadaire suisse francophone, créé en 1981, L'Hebdo se veut ouvert à l'international et à l'Europe en particulier. Edité par le groupe Ringier, il se considère comme "un outil d’information et de réflexion sans lequel la Suisse romande ne serait pas tout à fait ce qu’elle est".
Diffusion : 50'000 ex.
Source : Courrier international
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Source : Courrier international
Lyoness ou l’argent facile
Par Clément Bürge, 16 février 2012
Présente dans 23 pays, Lyoness, une communauté d’acheteurs, se développe en Suisse romande. Escrocs ou bienfaiteurs? La société suscite la polémique.
«Gagner des milliers de francs vous intéresse? Rejoignez Lyoness», lance, la voix sûre et le sourire charmeur, Angelo*. La poignée de badauds réunis dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds écoute le néoprophète la bouche ouverte. Armé d’un PowerPoint léché, ce trentenaire biennois donne la recette de sa solution miracle: devenir membre de la communauté d’acheteurs Lyoness. Originaire d’Autriche, la société dit avoir séduit deux millions de personnes dans vingt-trois pays, dont 12 000 en Suisse. Et promet à ses membres d’obtenir des rabais, de récupérer de l’argent sur leurs achats, voire de toucher des dizaines de milliers de francs en espèces.
Les membres peuvent choisir: gagner de l’argent lentement, toucher un jackpot rapidement, ou les deux. La première méthode consiste à acquérir la carte de membre, que Lyoness dit gratuite. En réalité, elle s’obtient contre l’achat de 450 francs de bons d’achat dans des entreprises partenaires et offre de 1 à 6% de rabais auprès de ces mêmes enseignes. Dans ce réseau, peu développé en Suisse romande, on trouve des petits commerçants, comme les stations- services Jubin dans le Jura ou le restaurant chinois Boky à Lausanne.
La manière musclée passe par la conversion en business partner. En investissant 3000 francs dans la société, les membres peuvent en retirer 25 000, à condition de recruter à leur tour un certain nombre d’investisseurs. Ce soir de février à La Chaux-de-Fonds, on ne saura pas exactement combien, tant la complexité semble s’ériger en système. D’infographies en schémas, Angelo s’exalte sur la mécanique miraculeuse. «C’est bien compliqué», remarque Josiane*, une sexagénaire. «Pas besoin de comprendre, ça marche tout seul», lui glisse un camarade d’Angelo. «C’est fantastique», lâche-t-elle finalement. Trop fantastique.
Chaîne de Ponzi. Car les plaintes pour escroquerie éclosent un peu partout, notamment en France, en Autriche et en Suisse. «Très souvent, les gens touchent quelques centaines de francs, mais jamais plus, commente Eric Breiteneder, un avocat autrichien en charge de plus de 50 cas liés à Lyoness. A notre connaissance, personne n’a obtenu les fameux 25 000 francs.»
Les problèmes remontent au cœur du système. «Le retour d’argent grâce à l’entrée de nouveaux investisseurs s’explique par le principe du jeu de l’avion», explique Fabien Rouiller, juriste à la Commission intercantonale des loteries et paris (Comlot). Egalement nommé schéma de Ponzi ou vente pyramidale, le montage repose sur le fait que les profits sont tirés du recrutement de nouveaux membres, et non pas d’une vente. Tant que de nouveaux membres sont disponibles, cela fonctionne. Une fois les ressources épuisées, tout s’effondre, laissant les personnes au sommet de la pyramide avec la majeure partie de l’argent.
Comment la société a-t-elle subsisté jusqu’à aujourd’hui? «La loi interdit explicitement ce système, explique Yannick Buttet de la police commerciale valaisanne. Mais en plus du jeu de l’avion, Lyoness permet d’obtenir des réductions. La combinaison des deux procédés brouille les cartes. Nous sommes en zone grise. C’est très malin.» L’Autrichien Eric Breiteneder acquiesce: «Lancer un procès coûte souvent plus cher que la somme investie, d’où la longévité de Lyoness (créée en 2003, ndlr).»
Les ravages de Lyoness dépassent les dégâts pécuniaires et déchirent familles et amitiés. «Le groupe fonctionne sur le parrainage, témoigne Anne-Valérie Pinet, avocate du premier plaignant français. Les membres y sont entraînés par des proches, qui ne se méfient de rien. Mais une fois l’arnaque révélée, les liens éclatent.» Dès le lancement de la procédure, l’avocate et son client ont été l’objet de menaces, émanant de proches de la victime.
Le gourou Hubert Freidl. Une émotion renforcée par les caractéristiques sectaires de Lyoness. «Ces gens sont fanatiques, voire religieux», soutient Eric Breiteneder. Rituels, code vestimentaire à suivre – le port du pin’s est de rigueur –, Lyoness organise à intervalles réguliers des réunions internationales. «Cela ressemble à une grande messe», estime l’avocat. Danse, chant, l’heure est à la vénération. Le fondateur et CEO de Lyoness, l’Autrichien Hubert Freidl, se livre aussi au show. Omniprésent dans la communication de la société, l’orateur dégarni fait l’objet d’une admiration sans limite. «C’est notre bienfaiteur», explique Angelo. Peu d’informations filtrent sur le gourou. Ses deux associés, Hubert Streif et Tzvetan Wagner, passent pour des experts en jeux de casino et de hasard. Les trois président la mystérieuse Child and Family Foundation de Lyoness. «Cette fondation est utilisée pour déplacer de l’argent d’un pays à l’autre. Mais personne ne sait vraiment d’où vient son argent et où il part», explique Eric Breiteneder.
«À NOTRE CONNAISSANCE, PERSONNE N’A OBTENU LES 25 000 FRANCS.»
Eric Breiteneder, avocat
Le siège international de la société est établi à Buchs (SG) «pour des raisons fiscales», selon Angelo. Mais Eric Breiteneder souligne son autre fonction: «Tous les contrats des membres à l’étranger sont souscrits avec l’entité suisse. Les adhérents suisses souscrivent un contrat avec le groupe autrichien. La raison: ils cherchent à complexifier au maximum les procédures législatives en cas de procès.» Un cabinet d’avocats suisse a reçu une plainte d’anciens employés de la maison qui auraient mis la main sur des documents prouvant les activités frauduleuses de Lyoness. «Aujourd’hui, la loi ne permet pas aux autorités suisses de lutter activement contre la société. Mais le Secrétariat d’Etat à l’économie pourra prochainements’en mêler», affirme Fabien Rouiller de la Comlot. Dès le 1er avril, la modification de la loi sur la concurrence dotera le SECO de nouvelles compétences légales, qui lui permettront enfin de saisir le dossier. Contacté par L’Hebdo, le SECO refuse de se prononcer avant son entrée en vigueur. Mais l’avocat en charge des cas suisses révèle: «Effrayée, Lyoness chercherait à déplacer son siège au Luxembourg avant la date butoir.» Contactée à plusieurs reprises à ses sièges suisse et autrichien, Lyoness a refusé de répondre à nos questions.
* Prénoms d’emprunt.
Source : http://www.hebdo.ch/lyoness_ou_facile_148071_.html
Présente dans 23 pays, Lyoness, une communauté d’acheteurs, se développe en Suisse romande. Escrocs ou bienfaiteurs? La société suscite la polémique.
«Gagner des milliers de francs vous intéresse? Rejoignez Lyoness», lance, la voix sûre et le sourire charmeur, Angelo*. La poignée de badauds réunis dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds écoute le néoprophète la bouche ouverte. Armé d’un PowerPoint léché, ce trentenaire biennois donne la recette de sa solution miracle: devenir membre de la communauté d’acheteurs Lyoness. Originaire d’Autriche, la société dit avoir séduit deux millions de personnes dans vingt-trois pays, dont 12 000 en Suisse. Et promet à ses membres d’obtenir des rabais, de récupérer de l’argent sur leurs achats, voire de toucher des dizaines de milliers de francs en espèces.
Les membres peuvent choisir: gagner de l’argent lentement, toucher un jackpot rapidement, ou les deux. La première méthode consiste à acquérir la carte de membre, que Lyoness dit gratuite. En réalité, elle s’obtient contre l’achat de 450 francs de bons d’achat dans des entreprises partenaires et offre de 1 à 6% de rabais auprès de ces mêmes enseignes. Dans ce réseau, peu développé en Suisse romande, on trouve des petits commerçants, comme les stations- services Jubin dans le Jura ou le restaurant chinois Boky à Lausanne.
La manière musclée passe par la conversion en business partner. En investissant 3000 francs dans la société, les membres peuvent en retirer 25 000, à condition de recruter à leur tour un certain nombre d’investisseurs. Ce soir de février à La Chaux-de-Fonds, on ne saura pas exactement combien, tant la complexité semble s’ériger en système. D’infographies en schémas, Angelo s’exalte sur la mécanique miraculeuse. «C’est bien compliqué», remarque Josiane*, une sexagénaire. «Pas besoin de comprendre, ça marche tout seul», lui glisse un camarade d’Angelo. «C’est fantastique», lâche-t-elle finalement. Trop fantastique.
Chaîne de Ponzi. Car les plaintes pour escroquerie éclosent un peu partout, notamment en France, en Autriche et en Suisse. «Très souvent, les gens touchent quelques centaines de francs, mais jamais plus, commente Eric Breiteneder, un avocat autrichien en charge de plus de 50 cas liés à Lyoness. A notre connaissance, personne n’a obtenu les fameux 25 000 francs.»
Les problèmes remontent au cœur du système. «Le retour d’argent grâce à l’entrée de nouveaux investisseurs s’explique par le principe du jeu de l’avion», explique Fabien Rouiller, juriste à la Commission intercantonale des loteries et paris (Comlot). Egalement nommé schéma de Ponzi ou vente pyramidale, le montage repose sur le fait que les profits sont tirés du recrutement de nouveaux membres, et non pas d’une vente. Tant que de nouveaux membres sont disponibles, cela fonctionne. Une fois les ressources épuisées, tout s’effondre, laissant les personnes au sommet de la pyramide avec la majeure partie de l’argent.
Comment la société a-t-elle subsisté jusqu’à aujourd’hui? «La loi interdit explicitement ce système, explique Yannick Buttet de la police commerciale valaisanne. Mais en plus du jeu de l’avion, Lyoness permet d’obtenir des réductions. La combinaison des deux procédés brouille les cartes. Nous sommes en zone grise. C’est très malin.» L’Autrichien Eric Breiteneder acquiesce: «Lancer un procès coûte souvent plus cher que la somme investie, d’où la longévité de Lyoness (créée en 2003, ndlr).»
Les ravages de Lyoness dépassent les dégâts pécuniaires et déchirent familles et amitiés. «Le groupe fonctionne sur le parrainage, témoigne Anne-Valérie Pinet, avocate du premier plaignant français. Les membres y sont entraînés par des proches, qui ne se méfient de rien. Mais une fois l’arnaque révélée, les liens éclatent.» Dès le lancement de la procédure, l’avocate et son client ont été l’objet de menaces, émanant de proches de la victime.
Le gourou Hubert Freidl. Une émotion renforcée par les caractéristiques sectaires de Lyoness. «Ces gens sont fanatiques, voire religieux», soutient Eric Breiteneder. Rituels, code vestimentaire à suivre – le port du pin’s est de rigueur –, Lyoness organise à intervalles réguliers des réunions internationales. «Cela ressemble à une grande messe», estime l’avocat. Danse, chant, l’heure est à la vénération. Le fondateur et CEO de Lyoness, l’Autrichien Hubert Freidl, se livre aussi au show. Omniprésent dans la communication de la société, l’orateur dégarni fait l’objet d’une admiration sans limite. «C’est notre bienfaiteur», explique Angelo. Peu d’informations filtrent sur le gourou. Ses deux associés, Hubert Streif et Tzvetan Wagner, passent pour des experts en jeux de casino et de hasard. Les trois président la mystérieuse Child and Family Foundation de Lyoness. «Cette fondation est utilisée pour déplacer de l’argent d’un pays à l’autre. Mais personne ne sait vraiment d’où vient son argent et où il part», explique Eric Breiteneder.
«À NOTRE CONNAISSANCE, PERSONNE N’A OBTENU LES 25 000 FRANCS.»
Eric Breiteneder, avocat
Le siège international de la société est établi à Buchs (SG) «pour des raisons fiscales», selon Angelo. Mais Eric Breiteneder souligne son autre fonction: «Tous les contrats des membres à l’étranger sont souscrits avec l’entité suisse. Les adhérents suisses souscrivent un contrat avec le groupe autrichien. La raison: ils cherchent à complexifier au maximum les procédures législatives en cas de procès.» Un cabinet d’avocats suisse a reçu une plainte d’anciens employés de la maison qui auraient mis la main sur des documents prouvant les activités frauduleuses de Lyoness. «Aujourd’hui, la loi ne permet pas aux autorités suisses de lutter activement contre la société. Mais le Secrétariat d’Etat à l’économie pourra prochainements’en mêler», affirme Fabien Rouiller de la Comlot. Dès le 1er avril, la modification de la loi sur la concurrence dotera le SECO de nouvelles compétences légales, qui lui permettront enfin de saisir le dossier. Contacté par L’Hebdo, le SECO refuse de se prononcer avant son entrée en vigueur. Mais l’avocat en charge des cas suisses révèle: «Effrayée, Lyoness chercherait à déplacer son siège au Luxembourg avant la date butoir.» Contactée à plusieurs reprises à ses sièges suisse et autrichien, Lyoness a refusé de répondre à nos questions.
* Prénoms d’emprunt.
Source : http://www.hebdo.ch/lyoness_ou_facile_148071_.html
Les réponses de Lyoness
Suite. Accusée d'être un schéma de Ponzi, la communauté d'acheteurs autrichienne a répondu à nos questions.
Clément Bürge, 23 février 2012
La semaine passée. L'Hebdo publiait un article («Lyoness ou l'argent facile», L'Hebdo N' 7) sur la communauté d'acheteurs Lyoness. Plusieurs avocats et représentants des autorités suisses affirmaient, dans le cadre de cet article, que cette société s'adonne à des activités de type vente pyramidale. Contactée à plusieurs reprises à ses sièges suisse et autrichien, Lyoness n'avait pas répondu à nos questions. Entre-temps, la société nous a présenté sa version des faits.
La porte-parole du groupe, Silvia Weihs, dément l'affirmation selon laquelle le groupe envisage de déménager son siège international, basé à Buchs (SG), au Luxembourg. Concernant la Child and Family Foundation de Lyoness, décrite par l'un des avocats cités dans notre article comme une structure opaque utilisée pour déplacer de l'argent d'un pays à l'autre, Silvia Weihs répond: «Ces accusations n'ont pas fait l'objet de recherches détaillées, car toutes nos activités de charité peuvent être prouvées. La fondation est financée grâce à un pourcentage prélevé sur le chiffre d'affaires global de Lyoness.»
Quant à l'affirmation selon laquelle Lyoness serait un schéma de Ponzi (ou jeu de l'avion, basé sur des ventes pyramidales), le groupe se défend: «Notre système n'a rien à voir avec un schéma de Ponzi. Lyoness a été examiné par plusieurs organes de certification nationaux et internationaux, comme ISO 9001:2008 et TÜV Rheinland.»
Ce que certifient ISO et TÜV.
Contacté par L'Hebdo, Frank Bachlmayr, de Quality Austria, l'organe d'inspection de la norme ISO, pointe la nature de cette certification: «La norme ISO garantit la qualité de la gestion d'une entreprise et non pas la qualité de ses produits.» Egalement contacté, Olaf Seiche, de TÜV Rheinland, explique que le certificat attribué par son entreprise prouve que «les clients de Lyoness touchent effectivement entre 1 et 3% de rabais dans les entreprises partenaires grâce à la carte gratuite de la société».
Enfin, concernant les diverses plaintes actuellement déposées contre Lyoness en France, en Autriche et en Suisse, le groupe n'a pas souhaité apporter de commentaire.
Article original en PDF
Clément Bürge, 23 février 2012
La semaine passée. L'Hebdo publiait un article («Lyoness ou l'argent facile», L'Hebdo N' 7) sur la communauté d'acheteurs Lyoness. Plusieurs avocats et représentants des autorités suisses affirmaient, dans le cadre de cet article, que cette société s'adonne à des activités de type vente pyramidale. Contactée à plusieurs reprises à ses sièges suisse et autrichien, Lyoness n'avait pas répondu à nos questions. Entre-temps, la société nous a présenté sa version des faits.
La porte-parole du groupe, Silvia Weihs, dément l'affirmation selon laquelle le groupe envisage de déménager son siège international, basé à Buchs (SG), au Luxembourg. Concernant la Child and Family Foundation de Lyoness, décrite par l'un des avocats cités dans notre article comme une structure opaque utilisée pour déplacer de l'argent d'un pays à l'autre, Silvia Weihs répond: «Ces accusations n'ont pas fait l'objet de recherches détaillées, car toutes nos activités de charité peuvent être prouvées. La fondation est financée grâce à un pourcentage prélevé sur le chiffre d'affaires global de Lyoness.»
Quant à l'affirmation selon laquelle Lyoness serait un schéma de Ponzi (ou jeu de l'avion, basé sur des ventes pyramidales), le groupe se défend: «Notre système n'a rien à voir avec un schéma de Ponzi. Lyoness a été examiné par plusieurs organes de certification nationaux et internationaux, comme ISO 9001:2008 et TÜV Rheinland.»
Ce que certifient ISO et TÜV.
Contacté par L'Hebdo, Frank Bachlmayr, de Quality Austria, l'organe d'inspection de la norme ISO, pointe la nature de cette certification: «La norme ISO garantit la qualité de la gestion d'une entreprise et non pas la qualité de ses produits.» Egalement contacté, Olaf Seiche, de TÜV Rheinland, explique que le certificat attribué par son entreprise prouve que «les clients de Lyoness touchent effectivement entre 1 et 3% de rabais dans les entreprises partenaires grâce à la carte gratuite de la société».
Enfin, concernant les diverses plaintes actuellement déposées contre Lyoness en France, en Autriche et en Suisse, le groupe n'a pas souhaité apporter de commentaire.
Article original en PDF